Comatrice

En algèbre linéaire, la comatrice d'une matrice carrée A est une matrice carrée de même taille, dont les coefficients, appelés les cofacteurs de A, interviennent dans le développement du déterminant de A suivant une ligne ou une colonne. Si A est une matrice inversible, sa comatrice intervient également dans une expression de son inverse.

Dans cette page, A désigne une matrice carrée d'ordre n à coefficients dans un anneau commutatif K.

Définitions

Le cofacteur d'indice i, j de A est :

( com A ) i , j := det ( A i , j ) = ( 1 ) i + j det ( A i , j ) {\displaystyle \left(\operatorname {com} A\right)_{i,j}:=\det \left(A'_{i,j}\right)=(-1)^{i+j}\det \left(A_{i,j}\right)} , où
  • A'i,j est la matrice carrée de taille n déduite de A en remplaçant la j-ème colonne par une colonne constituée uniquement de zéros, sauf un 1 sur la i-ème ligne ;
  • Ai,j est la sous-matrice carrée de taille n – 1 déduite de A en supprimant la i-ème ligne et la j-ème colonne (son déterminant fait donc partie des mineurs de A).

La comatrice de A est la matrice de ses cofacteurs.

Formules de Laplace

Pierre-Simon de Laplace (1749-1827).

On peut calculer le déterminant de A en fonction des coefficients d'une seule colonne et des cofacteurs correspondants. Cette formule, dite formule de Laplace, permet ainsi de ramener le calcul d'un déterminant d'ordre n à celui de n déterminants d'ordre n – 1.

Formules de développement d'un déterminant d'ordre n[1] :

  • par rapport à la colonne j :
    det A = i = 1 n a i ; j ( com A ) i , j {\displaystyle \det A=\sum _{i=1}^{n}a_{i;j}(\operatorname {com} A)_{i,j}}  ;
  • par rapport à la ligne i :
    det A = j = 1 n a i ; j ( com A ) i , j {\displaystyle \det A=\sum _{j=1}^{n}a_{i;j}(\operatorname {com} A)_{i,j}} .

Généralisation

La formule suivante[1] se déduit des formules de Laplace et les inclut :

A t com A = ( t com A ) A = ( det A ) I n {\displaystyle A\;{}^{\operatorname {t} }\!{\operatorname {com} A}=\left({}^{\operatorname {t} }\!{\operatorname {com} A}\right)\;A=\left(\det A\right)\;\mathrm {I} _{n}} ,

In désigne la matrice identité de même taille n que A.

La matrice transposée de la comatrice est appelée matrice complémentaire[2] de A. Notamment si det A est inversible dans K, alors A est inversible dans Mn(K) et son inverse est un multiple de la matrice complémentaire, ce qui veut dire qu'on a obtenu une formule pour l'inverse, ne nécessitant « que » des calculs de déterminants :

A 1 = 1 det A t com A {\displaystyle A^{-1}={\frac {1}{\det A}}\,{}^{\operatorname {t} }\!{\operatorname {com} A}} .

Cette formule n'a guère qu'un intérêt théorique car en pratique, elle est trop lourde pour calculer explicitement A−1 dès que n ≥ 4 et la méthode plus élémentaire à base d'opérations élémentaires sur les lignes (inversion par pivot de Gauss) est plus efficace, aussi bien pour l'humain que pour la machine.

Propriétés de la comatrice

  • Compatibilité avec la transposition : com(tA) = t(com A).
  • Compatibilité avec le produit[3] : com In = In et pour toutes matrices carrées A et B d'ordre n, com(AB) = (com A)(com B).
  • Rang (si K est un corps commutatif) :
    • si A est de rang n (c.-à-d. A inversible), com(A) aussi (jointe à la précédente, cette propriété assure que l'application « comatrice » se restreint en un automorphisme du groupe linéaire GLn(K)) ;
    • si A est de rang n – 1, avec n ≥ 2, com(A) est de rang 1 ;
    • si A est de rang inférieur ou égal à n – 2, com(A) = 0.
  • Déterminant : si n ≥ 2, det(com A) = (det A)n–1.
  • Comatrice de la comatrice[3] : si n ≥ 2, com(com A) = (det A)n – 2 A.
  • Si P(X) = det(AX In) est le polynôme caractéristique de A et si Q est le polynôme défini par Q(X) = (P(0) – P(X))/X, alors[3] : t(com A) = Q(A).
Démonstrations
  • Les égalités com(tA) = t(com A) et com(In) = In sont immédiates.
  • Produit : si A et B sont inversibles, la formule résulte des propriétés multiplicatives de la transposition, de l'inversion (chacune des deux inversant l'ordre) et du déterminant. Or l'équation com(AB) = (com A)(com B) est polynomiale, à coefficients entiers, en les éléments des deux matrices A et B. En considérant ces 2n2 éléments comme les indéterminées d'un anneau de polynômes à coefficients dans ℤ, et en appliquant ce qui précède au corps des fractions (rationnelles à coefficients dans ) associé (dans lequel A et B sont inversibles), on obtient donc une égalité « absolue ». Lorsqu'on remplace ensuite ces indéterminées par les éléments d'un anneau commutatif quelconque, l'égalité est maintenue.
  • Rang :
    • Si A est inversible alors com(A) = (det AtA−1 a pour inverse (det A)−1 tA.
    • Si A est de rang n – 1 et en supposant, par exemple, que ses n – 1 premières colonnes sont linéairement indépendantes et que la dernière en est une combinaison linéaire, avec comme coefficients λ1, … , λn–1, alors, dans com(A), la dernière colonne est non nulle et la k-ième, pour tout k < n, est le produit de la dernière par –λk.
    • Si A est de rang inférieur à n – 2 alors, dans A, n – 1 colonnes quelconques sont liées donc tous les cofacteurs sont nuls.
  • Déterminant : si n ≥ 2 et A est inversible alors det(com A) = det[(det AtA−1] = (det A)n det(tA−1) = (det A)n–1. Pour A non inversible, on peut faire le même « raisonnement générique » que pour le produit ou — si l'on se contente du cas où les matrices sont à coefficients dans un corps — remarquer plus simplement que les deux membres sont nuls d'après les propriétés du rang. Pour des matrices à coefficients réels ou complexes, on peut aussi raisonner par densité.
  • Comatrice de la comatrice : si n ≥ 2, (det A) com(com A) = A tcom A com(com A)  = det(com AA = (det A)n–1 A donc si A est inversible, com(com A) = (det A)n–2 A. Le cas général se ramène au cas inversible comme ci-dessus.
  • Polynôme caractéristique : d'après le théorème de Cayley-Hamilton, P(A) = 0 donc A Q(A) = P(0) In = (det A) In = A t(com A). Si A est inversible, on en déduit Q(A) = t(com A). Le cas général se ramène au cas inversible comme ci-dessus.
Quelques propriétés plus anecdotiques

Si n ≥ 3, les matrices A M n ( R ) {\displaystyle A\in M_{n}(\mathbb {R} )} telles que A = com A sont la matrice nulle et les matrices spéciales orthogonales. Si n = 2, ce sont les matrices multiples des matrices spéciales orthogonales.

Exemples

Matrices de taille (1,1)

La comatrice de toute matrice de taille (1,1) est la matrice identité I1 = (1).

Matrices de taille (2,2)

com ( a b c d ) = ( d c b a ) {\displaystyle \operatorname {com} {\begin{pmatrix}a&b\\c&d\end{pmatrix}}={\begin{pmatrix}d&-c\\-b&a\end{pmatrix}}} .
Démonstration

On calcule les cofacteurs:

c 1 , 1 = ( 1 ) 1 + 1 | a b c d | = d {\displaystyle c_{1,1}=(-1)^{1+1}{\begin{vmatrix}{\begin{array}{|c|}\hline \color {Red}{\cancel {a}}\\\hline \end{array}}&\color {Red}{\cancel {b}}\\\color {Red}{\cancel {c}}&d\end{vmatrix}}=d}

c 1 , 2 = ( 1 ) 1 + 2 | a b c d | = c {\displaystyle c_{1,2}=(-1)^{1+2}{\begin{vmatrix}\color {Red}{\cancel {a}}&{\begin{array}{|c|}\hline \color {Red}{\cancel {b}}\\\hline \end{array}}\\c&\color {Red}{\cancel {d}}\end{vmatrix}}=-c}

c 2 , 1 = ( 1 ) 2 + 1 | a b c d | = b {\displaystyle c_{2,1}=(-1)^{2+1}{\begin{vmatrix}\color {Red}{\cancel {a}}&b\\{\begin{array}{|c|}\hline \color {Red}{\cancel {c}}\\\hline \end{array}}&\color {Red}{\cancel {d}}\end{vmatrix}}=-b}

c 2 , 2 = ( 1 ) 2 + 2 | a b c d | = a {\displaystyle c_{2,2}=(-1)^{2+2}{\begin{vmatrix}a&\color {Red}{\cancel {b}}\\\color {Red}{\cancel {c}}&{\begin{array}{|c|}\hline \color {Red}{\cancel {d}}\\\hline \end{array}}\end{vmatrix}}=a}

Donc

com ( a b c d ) = ( c 1 , 1 c 1 , 2 c 2 , 1 c 2 , 2 ) = ( d c b a ) {\displaystyle \operatorname {com} {\begin{pmatrix}a&b\\c&d\end{pmatrix}}={\begin{pmatrix}c_{1,1}&c_{1,2}\\c_{2,1}&c_{2,2}\end{pmatrix}}={\begin{pmatrix}d&-c\\-b&a\end{pmatrix}}} .

Matrices de taille (3,3)

com ( a 11 a 12 a 13 a 21 a 22 a 23 a 31 a 32 a 33 ) = ( + | a 22 a 23 a 32 a 33 | | a 21 a 23 a 31 a 33 | + | a 21 a 22 a 31 a 32 | | a 12 a 13 a 32 a 33 | + | a 11 a 13 a 31 a 33 | | a 11 a 12 a 31 a 32 | + | a 12 a 13 a 22 a 23 | | a 11 a 13 a 21 a 23 | + | a 11 a 12 a 21 a 22 | ) {\displaystyle \operatorname {com} {\begin{pmatrix}a_{11}&a_{12}&&a_{13}\\a_{21}&a_{22}&&a_{23}\\a_{31}&a_{32}&&a_{33}\\\end{pmatrix}}={\begin{pmatrix}+{\begin{vmatrix}a_{22}&a_{23}\\a_{32}&a_{33}\end{vmatrix}}&-{\begin{vmatrix}a_{21}&a_{23}\\a_{31}&a_{33}\end{vmatrix}}&+{\begin{vmatrix}a_{21}&a_{22}\\a_{31}&a_{32}\end{vmatrix}}\\-{\begin{vmatrix}a_{12}&a_{13}\\a_{32}&a_{33}\end{vmatrix}}&+{\begin{vmatrix}a_{11}&a_{13}\\a_{31}&a_{33}\end{vmatrix}}&-{\begin{vmatrix}a_{11}&a_{12}\\a_{31}&a_{32}\end{vmatrix}}\\+{\begin{vmatrix}a_{12}&a_{13}\\a_{22}&a_{23}\end{vmatrix}}&-{\begin{vmatrix}a_{11}&a_{13}\\a_{21}&a_{23}\end{vmatrix}}&+{\begin{vmatrix}a_{11}&a_{12}\\a_{21}&a_{22}\end{vmatrix}}\end{pmatrix}}} .

On rappelle que | a b c d | = a d b c {\displaystyle {\begin{vmatrix}a&b\\c&d\end{vmatrix}}=ad-bc} (voir déterminant).

Variations de la fonction déterminant

On suppose ici que K est le corps des réels, et l'on s'intéresse à l'application déterminant, vue comme fonction des coefficients de la matrice :

R n 2 M n ( R ) R , A det A {\displaystyle \mathbb {R} ^{n^{2}}\simeq \mathrm {M} _{n}(\mathbb {R} )\to \mathbb {R} ,\;A\mapsto \det A} .

La formule de Leibniz montre que c'est une fonction polynomiale (homogène) donc indéfiniment différentiable.

On peut retrouver et préciser cette régularité grâce aux formules de Laplace (voir supra) : en un point A quelconque de Mn(ℝ), la fonction det est affine par rapport à la variable d'indice i, j, et sa dérivée partielle est le cofacteur de A de même indice :

det A i , j ( A ) = ( com A ) i , j . {\displaystyle {\frac {\partial \det }{\partial A_{i,j}}}(A)=(\operatorname {com} A)_{i,j}.}

On en déduit, toujours au point A, le gradient de det (si l'on munit Mn(ℝ) de son produit scalaire canonique) : det ( A ) = com A {\displaystyle \nabla \det(A)=\operatorname {com} A}

ou encore, sa différentielle donc son développement limité à l'ordre 1 : det ( A + H ) = det A + t r ( ( t com A ) H ) + o ( H ) {\displaystyle \det(A+H)=\det A+{\rm {tr}}\left(\left({}^{t}\!\operatorname {com} A\right)H\right)+o\left(\left\|H\right\|\right)} .

Notamment pour le cas où A est la matrice identité : det ( I n ) = I n  et  det ( I n + H ) = 1 + t r ( H ) + o ( H ) {\displaystyle \nabla \det(\mathrm {I} _{n})=\mathrm {I} _{n}{\text{ et }}\det(\mathrm {I} _{n}+H)=1+{\rm {tr}}(H)+o(\|H\|)} .

Comatrice et produit vectoriel

Si A est une matrice réelle d'ordre 3, elle agit sur les vecteurs de l'espace euclidien orienté ℝ3. La comatrice de A décrit alors l'interaction de A avec le produit vectoriel :

A u A v = com A ( u v ) {\displaystyle Au\wedge Av=\operatorname {com} A\,(u\wedge v)} .
Démonstration

Notons {\displaystyle \cdot } le produit scalaire. Pour tout vecteur x {\displaystyle x} de ℝ3,

( det A ) u v x = det A [ u , v , x ] = [ A u , A v , A x ] = ( A u A v ) A x = t A ( A u A v ) x {\displaystyle (\det A)u\wedge v\cdot x=\det A[u,v,x]=[Au,Av,Ax]=(Au\wedge Av)\cdot Ax={}^{\operatorname {t} }\!A(Au\wedge Av)\cdot x} .

Par conséquent,

t A ( A u A v ) = ( det A ) u v = t A com A ( u v ) {\displaystyle {}^{\operatorname {t} }\!A(Au\wedge Av)=(\det A)u\wedge v={}^{\operatorname {t} }\!A\operatorname {com} A\,(u\wedge v)} .

On en déduit l'égalité annoncée si A est inversible.

Le résultat s'étend aux matrices non inversibles par densité.

Notes et références

  1. a et b Ces formules incontournables sont démontrées dans tous les cours d'algèbre linéaire, comme :
    • J.-P. Marco et L. Lazzarini, Mathématiques L1 : cours complet avec 1000 tests et exercices corrigés, Pearson, (lire en ligne), chap. 20 (« Déterminants »), p. 541 et 546 ;
    • F. Cottet-Emard, Algèbre linéaire et bilinéaire, De Boeck Supérieur, (lire en ligne), chap. 2 (« Déterminants »), p. 36 et 42 ;
    • le chapitre « Déterminant » sur Wikiversité.
  2. Dans la littérature en langue anglaise, la matrice complémentaire (transposée de la comatrice) est parfois appelée « matrice adjointe », ce qui crée un risque de confusion avec un autre sens de matrice adjointe, désignant la transposée de la matrice conjuguée.
  3. a b et c Henri Lombardi et Claude Quitté, Algèbre commutative — Méthodes constructives — Modules projectifs de type fini, Calvage & Mounet, (1re éd. 2011) (arXiv 1611.02942, présentation en ligne), p. 96-97.
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